Celtic Frost : To Mega Therion
C’est à toi que je m’adresse, toi l’innocent qui va découvrir To Mega Therion pour la première fois. Oh, ne lis pas dans mes propos une quelconque condescendance, la supériorité de celui qui a la connaissance face à la naïveté virginale de l’ignorant. Non, il ne s’agit vraiment pas de cela.
S’il est un sentiment que j’éprouve envers toi, c’est de jalousie et d’envie dont il s’agit. Quel bonheur de se jeter la première fois dans ces Abymes jouissives de To Mega Therion. J’aimerais tant être à ta place.
Tu auras noté la froide pâleur de cette peinture ornant la pochette de l’album. C’est que Celtic Frost n’a pas hésité à solliciter l’artiste contemporain Giger, adepte des thèmes occultes et des figurations démoniaques. Une imagerie à la hauteur de certaines ambitions, sois-en déjà certain. Il en va de même pour ce curieux titre, du grec antique qui n’est que la traduction biblique de La Grande Bête, celle de l’Apocalypse de Saint Jean. Tu as d’ores et déjà compris que le Satanisme grotesque et caricatural de Venom ne fera pas longtemps illusion face à ce que tu pressens…face à la Bête. Qui d’autre était allé si loin à cette époque ?
Ce son martial, au goût prononcé de péplum morbide, cette minute glauque et magistrale au nom d’Innocence And Wrath, t’immerge immédiatement dans l’obscurité suffocante de Celtic Frost. La voix de Tom Warrior crache son fiel, un déhanchement de batterie et de guitare sous-accordée vient occuper l’espace avec entêtement. The Usurper surpasse toute forme conventionnelle de metal connu jusque là . L’obscurité s’abat un peu plus avec Jewel Throne, d’une densité effrayante, qui semble te saisir fermement par le cou et t’étouffer avec rage par son accélération implacable et saisissante. Sans doute tu trouveras dans ta longue descente aux enfers des points de repères musicaux qui te semblent étrangement familiers, pour peu que ton oreille soit rôdée au metal le plus extrême, qu’il s’agisse de death, de thrash, de black, de doom. Nous sommes en 1985, et tout est là . Le doom suffocant et baroque de Dawn Of Meggido, la furie thrashisante de Eternal Summer, dont le riff malsain et poisseux comme la mort qui rôde à chaque note te révèle soudain que si le black metal est grand, ses racines ne sont pas si éloignées d’ici bas. Bien sûr, il est fort probable que dès les premières notes de Circle Of The Tyrants, un air de déjà entendu se réveille en ton for intérieur. Bien sûr, quel titre peut se vanter d’avoir été autant repris par les plus grands ? Et pourtant, te voilà subjugué par sa puissance dévastatrice et sa force insoupçonnée. Ces quatre minutes trente de transe convulsive, générée par une maîtrise rythmique confinant au génie, cette magie surnaturelle qui suinte de chaque éructation, chaque note, chaque frappe. Magie qui ne se dissipe pas, quand Tom Warrior renchérit avec North Winds, acharné à déblatérer des thèmes qui feront ni plus ni moins que la légende des plus grands du black. Tu faiblis un peu plus sous la charge démoniaque de Fainted Eyes, son déversement de riffs sourds, sa rythmique plombée qui ne laisse pas de répit. Tu ne comprends plus, ébahi par la sobriété, voire l’austérité de la musique de Celtic Frost, étonnamment brute et sans artifices, et pourtant d’une puissance significative qui te cloue sur place. Cette force mystique que tu ne peux appréhender froidement, que tu ne parviens pas à décrire musicalement, techniquement, scientifiquement. Celtic Frost te tient à sa merci, désormais tu le concèdes, tu dois l’admettre. Et quand bien même c’est un intermède instrumental qui te laisse respirer, tu ne sortiras pas de la torpeur de To Mega Therion, que dis-je, de sa grandeur éternelle, quand ses inspirations les plus grandioses se manifestent dans Necromantial Screams, pièce flamboyante et symphonique, qui préfigure déjà les dispositions à venir des Helvètes, qu’aucune limite artistique ne freine quand il s’agit d’élever la musique au rang de l’art le plus génial et le plus noir. Une fois de plus tu remarques que ces chÅ“urs féminins, aussi discrets que pertinents, et ces touches classiques, lorsqu’elles sont employées avec ce talent, confèrent à la musique une saveur extraordinaire…souvent imitée mais rarement égalée.
Epuisé et vaincu, tu achèves donc ce disque, ce rite initiatique tellement délicat à retranscrire. Tu comprends mes mots désormais. Tu as retrouvé dans ce monument l’énergie furieuse du thrash, la violence maîtrisée du death metal, la noirceur et la haine du black metal, le désespoir du doom ou du post-hardcore. To Mega Therion est tout cela, et bien plus encore. Et désormais, tu as pris conscience que le cÅ“ur de la Bête, celui du metal le plus sombre, bat ici. Eternellement.
No user resposed " Celtic Frost : To Mega Therion "
Sorry The Commet Area Are Closed Or Not Available For Non Member